Carnet de route
Le Machu-Picchu 2418 m - Couserans
Le 18/10/2025 par CHARBONNEL Bruno
Progression en supplément jusqu'à la Mail de Bulard à 2750 m.
Certaines sorties sortent de l’ordinaire, celle-ci en fait partie. Mais on ne vient pas dans le Biros par hasard, il faut le vouloir. Cette vallée austère et encaissée a pourtant connu un âge d’or entre 1850 et 1950 grâce aux filons de zinc et de plomb argentifère. La légende locale, expliquée par un berger, raconte que Dieu a taillé le pays à coups de hache. Mais en repartant, il fut pris de remords et jeta par-dessus son épaule une poignée de minerai. Le décor était planté.
Cette fois-ci, je voulais, dans le cadre de l’AML et accompagné de mon père, qui avait déjà reconnu le terrain, explorer les galeries qui s’enfoncent dans la face Nord. Il s’agit d’un exercice complexe, à la limite de l’alpinisme et de la spéléologie, nécessitant un pied bien montagnard.
Nous démarrons à 06h45 du Bocard d’Eylie. La nuit noire masque les nombreux vestiges du village qui se dressait là jusqu’en 1919. À l’allure de Far West, ces baraquements abritaient les familles des mineurs. Il y eut même jusqu’à quatre écoles à l’apogée de l’exploitation, entre 1900 et 1914. Nous suivons le sentier qui s’élève en direction du col de l’Arech, sous les nombreux pylônes rouillés qui indiquent la direction à prendre pour remonter le cours de l’Histoire.
Du col de l’Arech (1 802m), nous bifurquons vers le Nord pour remonter les pentes du Tuc de Cagonilles (2 196m), que nous dépassons afin de rejoindre l’arrivée du câble qui reliait le Bocard aux baraques des mineurs. Là, perché à 2 388 mètres d’altitude, se tient un village fantôme, accroché à un piton rocheux. C’est lui qu’on surnomme le “Machu Picchu des Pyrénées”. En face de lui s’étire la face nord, parsemée de galeries et de vestiges de son exploitation : sentiers, câbles, parapets, rails… Tout est encore là, plus ou moins en place, abîmé par le temps et parfois effondré, mais on reconnaît bien les traces d’une intense activité minière.
C’est à partir de ces baraquements que nous nous équipons pour emprunter le chemin des mineurs, qui va nous amener à différentes galeries. La première, accessible en quelques minutes, est vide et peu profonde. Nous nous engageons donc sur le sentier et formons deux cordées. Ce chemin est équipé de spits par endroits ou de vieux pitons à d’autres, suffisamment pour assurer une progression en toute sécurité. Nous traversons toute la face pour arriver au travers-banc : la galerie principale, reliée à tous les autres percements du filon originel. Elle est tellement inaccessible que rien n’a bougé depuis plus d’un siècle ! Les équipements sont rongés par l’humidité et la rouille, mais tout est encore plus ou moins en place : rails, wagonnets, étais, tableaux électriques, compresseur… C’est une véritable gare de triage, avec des aiguillages, des tunnels qui se subdivisent, des étages, des monte-charges. Nous passons trente minutes à documenter l’intérieur avant de poursuivre notre ascension. À quelques mètres de là se trouvent la forge, puis un plan incliné qui nous mène à l’arrivée du monocâble terminal. Les galeries se poursuivent dans la face, à travers une tranchée à ciel ouvert, mais l’accès semble très aléatoire.
Nous quittons alors le chemin des mineurs pour rejoindre l’ancienne voie dite “Chemin des Espagnols”. Elle n’a plus rien à voir avec un chemin, puisque nous devons escalader de courtes arêtes rocheuses avant de remonter de raides pentes de gispet glacé, où nos piolets seront les bienvenus. Ici, il n’est guère possible de protéger notre progression : nous redoublons de vigilance.
Nos cordées sortent enfin de la face Nord ; nous retrouvons les rayons du soleil qui réchauffent nos doigts et en profitons pour manger un bout et partager nos impressions de cette exploration qui nous paraît encore irréelle. Nous remontons ensuite l’arête jusqu’au sommet de la Mail de Bulard, avant de plonger dans l'esthétique arête Nord que nous redescendons sans difficultés pour rejoindre le col de l’Arech et retrouver nos véhicules, 1 800 mètres plus bas. Il est 18h30.




